L’actrice la plus célèbre d’Hollywood, devenue réalisatrice, discute avec la réalisatrice au plus grand succès de tous les temps.

Cela fait des mois qu’Angelina Jolie et Jennifer Yuh Nelson – qui a dirigé Jolie dans ‘Kung Fu Panda 2’ – ne se sont pas vues. La dernière fois, c’était le 22 mai, à Los Angeles, pour la première du célèbre dessin-animé, qui est devenu le plus gros succès jamais réalisé par une femme, récoltant 663 millions de dollars dans le monde entier. Elles se sont retrouvées dans un petit studio d’Hollywood juste après Thanksgiving. Elles ont désormais encore plus de choses en commun : comme Nelson, Jolie est maintenant une réalisatrice dans les étapes finales de préparation pour le 23 décembre, sortie de son film sur la guerre de Bosnie, ‘Au Pays du Sang et du Miel’. Elle ne peut plus attendre pour discuter avec Nelson de détails banals qui lui échappaient en tant qu’actrice. "C’est tellement excitant lorsque la première affiche sort", dit Jolie à Nelson avant de concéder qu’en tant qu’actrice, elle avait toujours la possibilité de blâmer le réalisateur, mais pas cette fois. Bien qu’aucune d’entre elles ne soit étiquetée militante pour la cause des femmes, toutes deux sont perplexes quant aux raisons pour lesquelles il n’y a pas plus de femmes réalisatrices – seulement 13,4% de la Guilde des réalisateurs d’Amérique sont des femmes. ‘Kung Fu Panda 2’ est seulement le deuxième film d’animation exclusivement dirigé par une femme, après ‘Les aventures de Tigrou et de Winnie l’ourson’. "N’est ce pas fou ? Les films d’animation sont tellement orientés vers la famille que vous pensez qu’il peut y avoir des femmes derrière", dit Jolie. Comme tant d’autres réalisatrices de films moins commerciales – Kathryn Bigelow, Jane Campion, Lisa Cholodenko – Jolie a été contrainte d’emprunter la voie du film indépendant, car aucun studio ne voulait d’un film sombre sur la guerre avec des acteurs locaux dépeignant une histoire d’amour entre un serbe et une musulmane. Jolie a versé une grande partie du budget de 15 millions de dollars de son film, alors que Graham King, de la société GK Films, a versé le reste. Jolie considère Nelson comme un mentor et se sentait tellement bien sur le tournage de ‘Kung fu Panda 2’ qu’elle amenait souvent un ou plusieurs de ses six enfants aux studios. Toutes deux sont en lice pour la saison des récompenses – Vera Farmiga, Phyllida Lloyd et Dee Rees parmi elles – et la perspective est de taille. ‘Au Pays du Sang et du Miel’ est en lice pour une nomination aux Golden Globe pour le meilleur film en langue étrangère (Jolie a tourné le film en anglais et en bosniaque/croate/serbe (BCS) ; aux Etats-Unis, il sortira en BCS à sa demande), alors que Jeff Katzenberg, de la société de production de films et de séries d’animation DreamWorks Animation, s'attend à de multiples nominations aux Golden Globe et aux Oscars pour 'Kung Fu Panda 2'. Une journaliste de The Hollywood Reporter, Pamela McClintock, s’est entretenu avec elles.

THE HOLLYWOOD REPORTER : Angie, comment c’était de travailler pour une femme après avoir été dirigée par deux hommes pour le premier ‘Kung Fu Panda’ ?

Angelina Jolie : Lorsque Jen est arrivée, cela a ajouté un petit plus d’élégance et d’humanité, ce que vous pouvez remarquer dans le film. C’est vraiment un très bon film et j’adore lorsque mes enfants le regardent parce que je sais qu’il leur enseigne de grandes choses. Il est particulièrement pertinent pour ma famille puisqu’il traite de l’adoption [dans le film, Po, le panda, qui a été élevé par son père l’oie, part à la recherche de ses parents biologiques].

Jennifer Yuh Nelson : C’est quelque chose dont nous étions très conscients. Et lorsque nous avons présenté le scénario à Angie, nous avons tous pensé, ‘J’espère qu’il lui plaira’.

THR : Jen, vous avez travaillé pour DreamWorks Animation pendant 14 ans. Jeffrey Katzenberg vous qualifie de superstar et affirme que la raison pour laquelle vous réussissez dans cette profession d'hommes est que vous "avez une main de fer dans un gant de velours".

Nelson : Je mets toujours mon ego de côté. Quand les gens se sentent en sécurité, ils peuvent avoir des idées. Il est important d’être à l’écoute de l’acteur qui est sur un tournage. Si l’acteur ne se sent pas bien, c’est alors que vous dites ‘Ok, trouvons quelque chose d’autre’.

Jolie : Elle a ce pouvoir magique et j’ai été tellement chanceuse d’apprendre de Jen. Elle est si calme dans sa façon de demander quelque chose. Ce n’est pas possible de ne pas lui accorder. Dans le premier ‘Kung Fu Panda’, j’aurais pu me battre pour une ligne. Avec Jen, c’était différent. Elle m’aurait poliment demandé, ‘est ce que nous pouvons juste essayer ?’. Et vous craquez et répondez ‘Ok’. C’est une véritable artiste qui peut avoir une vue d’ensemble des choses. Et, heureusement, j’ai marqué quelques points à la maison grâce à ‘Kung Fu Panda’. Mes enfants adorent Tigresse, qui me ressemble beaucoup. Sinon, ils pensent que Brad et moi ne sommes pas très cools.

THR : Y a-t-il d’autres réalisateurs qui vous ont inspiré ?

Jolie : J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec tellement de réalisateurs intéressants, de Michael Winterbottom à Clint Eastwood. J’ai essayé de me rappeler les différentes expériences que j’ai aimées en tant qu’actrice et ce que les réalisateurs avaient fait pour que je sois à l’aise et en confiance. Et j’ai essayé d’avoir une équipe heureuse, ce que j’ai appris de Clint et de Jen.

Nelson : Je me rappelle d’avoir été au milieu de la production de ‘Kung Fu Panda 2’, qui a pris trois ans, tout le monde était irrité et fatigué. Je me demandais si nous verrions un jour la lumière au bout du tunnel. Guillermo del Toro m’a alors dit ‘Tu vas devoir gérer cela et n’ais pas peur de faire des choix audacieux’. Il a été d’un grand soutien.

THR : Angie, comment avez-vous convaincu Graham King de prendre part au projet, étant donné que, comme vous le dites, les films de guerre ne sont pas de gros succès en règle générale. Le film aborde des sujets difficiles, notamment les tristement célèbres camps de viol.

Jolie : J’ai travaillé avec lui pour ‘The Tourist’ et, un jour, je lui ai demandé s’il avait lu mon scénario. Je ne savais pas comment il avait réagi, puisque, sur de nombreux niveaux, il s’agissait d’un gros risque. Je n’allais pas jouer dedans et je ne voulais que des acteurs locaux. Ce n’était pas de une très bonne nouvelle pour lui. Mais il a été génial et a pris le risque.

THR : Comment avez-vous trouver du temps pour écrire le scénario ?

Jolie : J’écrivais dès que je pouvais, lorsque les enfants étaient endormis ou à l’école. Au milieu de certains scènes les plus horribles, j’entendais : ‘Maman, j’ai besoin d’une autre histoire, je n’arrive pas à dormir’, j’arrêtais alors ce que j’étais en train de faire et partait lire de jolies histoires sur des villages de lapin. J’ai beaucoup lu sur la guerre et vu beaucoup de documentaires.

Nelson : Et vous avez filmé chaque scène deux fois, dans deux langues différentes ?

Jolie : Nous tournions quelques prises dans une langue, puis nous changions et tournions quelques prises dans une autre. Parfois, nous devions revenir sur les prises en anglais, parce qu’ils se rendaient compte de certaines choses en tournant dans leur propre langue. Les producteurs avaient dit que nous devrions annuler le tournage en deux langues si je dépassais les dates. Et, en fait, nous avons gagné une journée lors de notre première semaine, ce qui a résolu le problème. J’espérais vraiment que le film sorte dans leur langue d’origine, mais certains pays, comme l’Angleterre, ont acheté la version anglaise. La France a acheté la version BCS. Il sortira également en Bosnie.

THR : Qu’allez-vous dire à vos enfants au sujet de ‘Au Pays du Sang et du Miel’ ?

Jolie : Ils ne verront pas ce film. Ils savent que, parfois, maman part en Lybie ou dans d’entres pays. Je fais en sorte qu’ils sachent que beaucoup de gens sont dans des situations difficiles dans le monde, pour différentes raisons, et je ne les protège pas en prétendant que la guerre est un jeu vidéo, c’est une chose vraiment, vraiment horrible.

THR : Comment ont été casté les acteurs locaux de Bosnie ?

Jolie : J’ai effacé mon nom du scénario lorsqu’il a été envoyé parce que c’était important d’avoir une véritable réaction. Lorsque les acteurs en ont pris connaissance, ils avaient déjà été informés du sujet. Je les considère désormais comme mes amis les plus proches. Ce sont des personnes qui ont vécu la guerre. Je suis nerveuse parce que je me sens responsable, en tant que réalisatrice, de l’équipe et du casting. J’aimerais tant qu’ils soient reconnus pour le travail qu’ils ont accompli et pour le courage dont ils ont fait preuve en acceptant de participer à ce projet. Seize d’entre eux vont venir à New-York pour la première le 5 décembre et je suis tellement excitée.

Nelson : Ton film est vraiment fort.

THR : Avant de lire le scénario, le gouvernement bosniaque a temporairement suspendu votre permis de tournage après que l’association des femmes victimes de la guerre de Bosnie ait déclaré que votre film était au sujet d’une musulmane qui tombe amoureuse de son ravisseur serbe. Mais ce n’était pas le cas – ils tombent amoureux avant que la guerre ne commence – l’interdiction de tournage a donc été levée.

Jolie : Il s’agissait d’une seule femme qui n’avait pas lu le scénario et qui ne voulait pas me rencontrer. C’est un sujet très sensible pour quelqu’un qui a vécu ces choses. Cela fait seulement 15 ans et c’est un souvenir douloureux. Dans mon cœur, le film a été réalisé au nom de toutes les personnes qui en ont souffert. Plusieurs associations de femmes l’ont vu et la première new-yorkaise du film a été coparrainée par l’association Women for Women International, une autre association fondée suite à la guerre de Bosnie. Ils ont estimé que c’était une bonne chose de le soutenir.

Nelson : Ce n’est définitivement pas un film passif et il fait réfléchir.

THR : Pourquoi avez-vous décidé de construire l’intrigue autour d’une histoire d’amour ?

Jolie : Je suis sure que le public y verra différentes choses, mais pour moi, le thème général était l’intervention et ce qui arrive aux gens lorsque la guerre éclate et comme, au fil des ans, ils sont testés – que ce soit un couple, un père et son fils ou des amis – et séparés, comme ils continuent d’essayer de s’accrocher à un semblant d’humanité. Plus cela prend du temps pour intervenir, plus ils sont témoins, plus ils sont poussés vers le fond. C’est pourquoi il est si important de prévenir les conflits et lorsque cela arrive, de nous éduquer aussi rapidement que possible. Ce n’est pas seulement des bâtiments qui sont détruits, c’est l’âme de ces personnes qui est touché et qui se brise au fil des années.

THR : Le tournage de ‘Au Pays du Sang et du Miel’ était bouclé en 41 jours, alors que cela a pris trois ans pour réaliser ‘Kung Fu Panda 2’. Jen, comment expliquez-vous cela ?

Nelson : C’est un long processus et vous devez savoir exactement ce qui se passera ensuite. Tout doit être planifié à l’avance. Vous devez vous assurer que les gens sont toujours motivés, heureux et créatifs. Le doublage débute lorsque les story-boards sont finis. Avec Angie, certaines choses pouvaient changer lorsque nous allions en cabine de doublage. Nous découvrions des choses sur le moment et changions le scénario. Elle connait très bien son personnage, donc quand elle disait, ‘Une tigresse ne dirait pas cela’, elle avait absolument raison. Elle a donné à Tigresse ce petit plus et c’est la raison pour laquelle le public aime tant le personnage. Les enfants d’Angie étaient parfois en cabine avec moi. Maddox disait, ‘Cette prise était géniale’, alors je me disais, ok, ça lui plait, on la garde.

THR : Est ce que le fait que vous êtes la première femme à réaliser un film d'animation est surprenant pour vous ?

Nelson :Je ne pense pas beaucoup à cette différence de sexe. Mais lorsque je parle dans les écoles, j’ai eu des étudiantes qui m’ont dit, ‘Je n’ai jamais envisagé de devenir réalisatrice, car je n’ai jamais vu de femmes dans ce milieu’. Mais après m’avoir vu, elles peuvent s’imaginer diriger, donc peut être que nous verrons bientôt plus de femmes réalisatrices. Et la moitié de ces enfants dans les écoles d’art ou d’animation sont des filles.

Jolie :Tu dois être très fière de leur avoir montré la voie.

THR : Etes-vous nerveuses à l’idée de la saison des récompenses ? Jen, ‘Kung Fu Panda 2’ a remporté toutes les nominations (soit 12) des Annie Awards. Et ‘In the Land of Blood and Honey’ est bien parti pour une nomination aux Golden Globe pour le meilleur film en langue étrangère.

Nelson : C’est un aspect totalement différent des choses. Lorsque vous réalisez un film, c’est tellement personnel et puis vous le montrez au public et là cela devient différent.

Jolie : Honnêtement, je ne peux même pas y penser pour le moment. J’espère juste que le film ne sera pas un total désastre.

THR : Angie, quel est votre prochain rôle ? Je sais que vous avez récemment signé un contrat pour incarner le rôle principal dans le film de Ridley Scott sur la vie de Gertrude Bell, qui a joué un rôle déterminant dans la formation du Moyen-Orient moderne.

Jolie : Ca a été très dur d’obtenir un financement car ce n’est pas un petit film. J’aimerais également incarner Maléfique pour Disney, mais nous n'avons pas de réalisateur pour le moment.

THR : Aimeriez-vous diriger à nouveau ?

Jolie : Je ne sais pas encore si je suis assez confiante pour diriger à nouveau.

Nelson : Tu devrais le refaire.

Jolie : Non, tu seras la prochaine. Je jouerais dans tout ce que tu dirigeras.

Nelson : Je travaille sur quelque chose, mais je ne peux pas en parler.

THR : Y-a-t-il un ‘Kung Fu Panda 3’ en préparation ?

Nelson : On a encore le temps pour en parler.

Jolie : Nous pouvons dire que nous sommes en négociations. Tigresse me ressemble beaucoup, surtout en ce qui concerne les enfants. J’adore les films d’animation parce qu’on y fait des choses qu’on ne ferait pas en temps normal. Je pourrais amener mes enfants, venir en pyjama et trainer avec Jen. Et mon personnage déchire tellement.

Nelson : Et les cascades sont sans danger.

Jolie : Oui, manger des pizzas est la cascade la plus difficile.

Source : The Hollywood Reporter