Situé dans une vallée entre les collines, à environ trente kilomètres au nord de Budapest, Tokod est l’une des nombreuses petites villes hongroises touchées par la chute du socialisme, lui faisant perdre son statut de principal fournisseur de charbon, d’acier et de biens manufacturés vers l’empire soviétique.

Exceptionnellement doux pour un mois de novembre, le soleil jette des rayons vifs sur ce qui reste de la fabrique de verre de Tokod qui sert de lieu détruit par la guerre pour le premier film d’Angelina Jolie. Après avoir posé toute pomponnée pour la couverture du magazine Vogue, elle s’est mise à chercher des lieux authentiques dans un pays qu’elle n’avait jamais visité avant, a rencontré une équipe dont la langue natale n’est pas l’anglais, emmenant ses enfants avec elle dans cette aventure de deux mois. Ce qu’elle a apparemment laissé chez elle, c’est son ego, même si on ne peut pas dire qu’elle ait un ego démesuré. Etre réalisateur d’un film représente une nouvelle étape dans la vue d’Angelina Jolie. "Le film est la star ici, pas Angelina !", ironise un jeune acteur en uniforme, visiblement un fan, fumant une cigarette à quelques mètres de l’actrice principale, Zana Marjanovic, qui essaie de fuir devant la caméra. Dès que Jolie crie "coupez", l’équipe se remet en place et la frêle Angelina sort de la tente sous laquelle se trouve le moniteur. Habillée telle une vraie réalisatrice, une veste noire, un pantalon crayon, des bottes et sans maquillage, elle discute avec la jeune actrice et un autre acteur, tous deux viennent de Bosnie. Tous les trois ont l’air très concentrés, font des gestes et rient. On pourrait facilement les prendre pour des jeunes collégiens en randonnée en Bosnie et passant un agréable moment en visitant des sites historiques. "On passe vraiment de bons moments sur le tournage !", m’assure un assistant producteur hongrois, soulignant qu’Angie est toujours très détendue. Aucun drame, aucun caprice, aucune crise de colère et aucune vanité ici. "Que Dieu nous bénisse, il ne s’agit pas d’un énorme blockbuster hollywoodien", soupire un membre de l’équipe en souriant, "mais c’est réel, un peu comme les films à petit budget que nous avons ici, en Hongrie". "Et c’est vraiment une pure joie d’être entourée d’elle", déclarent d’autres. "Angelina est si bienveillante, respectueuse de tout le monde. C’est une réelle inspiration et une vraie professionnelle", confie la chef costumière. "J’aimerais que tous les américains qui viennent en Hongrie soit comme elle !".

Toutefois, aussi détendue et relaxée qu’elle parait sur le plateau, Angelina Jolie a du mal à cacher sa nervosité lorsqu’elle m’invite dans sa caravane pour un café. Plusieurs pellicules enregistrées se trouvent dans son MacPro. C’est la première fois qu’elle se confie sur son film depuis le début du tournage à Budapest, le 28 septembre.

Nava Aniko - Jouer dans des films, élever vos enfants et parcourir le monde en tant qu’humanitaire… Comment et quand avez-vous trouvé le temps pour écrire un scénario ?

Angelina Jolie - En fait, il y a 9 ou 10 mois, j’ai eu la grippe et j’ai été obligé de garder une certaine distance avec mes enfants pour ne pas les contaminer. J’étais donc assise dans une autre partie de la maison en train de lire lorsque j’ai eu le sentiment que je pourrais me mettre à écrire. Je n’avais pas le programme "Final Draft" (programme de rédaction de scénario le plus vendu)… Donc ma première ébauche était très drôle. J’avais écrit mes idées dans tous les sens, rien n’était aligné. C’était très drôle et pas du tout professionnel. Puis, pendant des semaines, le scénario est resté sur mon bureau.

Comment avez-vous eu l’idée de cette histoire ?

J’ai été très frustrée en me rendant compte du temps qu’il faut pour intervenir ou comprendre ce qui se passe lors d’un conflit, du temps qu’il faut pour que le monde apporte son aide à des personnes dans le besoin ou du temps qu’il faut pour réellement informer la communauté internationale. Au fil des années, j’ai rencontré tant de personnes et je dois dire que, dans un sens, cette histoire aurait pu se dérouler dans n’importe quel pays. On rencontrera des personnes avant que la guerre commence, puis on pourra s’imaginer ce que leurs vies auraient pu être. Nous les rencontrerons dans leurs jeunes années, ils seront pleins d’espoir et mèneront une jolie vie. Puis éclatera la guerre en Bosnie. C’est alors que leur vie sera affectée. Ils seront témoins de la mort de leurs amis et de leur famille. C’est comme cela que l’idée m’est venue… Nous avons la possibilité d’agir… Mais en 4 ans, 5 ans ? Regardez ce qui se passe au Darfour ! Il y a longtemps que nous aurions du apporter notre aide au Darfour.

A l’origine du conflit en Yougoslavie, il y a une longue histoire, autant avant la guerre qu’après.

C’est vrai. J’ai du apprendre énormément. Je suis partie d’une idée simple, une histoire d’amour entre une bosniaque musulmane et un militaire serbe pendant le conflit yougoslave, mais je savais qu’il me faudrait maitriser le sujet. J’ai fait beaucoup de recherches. J’ai regardé des documentaires et des films, j’ai rencontré des experts, mais au bout du compte, j’ai décidé de caster des personnes d’ici. Je me suis assise avec eux et ils m’ont raconté leurs histoires, leur parcours pendant la guerre, comment ils ont survécu et ce que leurs familles ont traversé. Ils m’ont ainsi permis de compléter mon histoire. Ce sont des gens des deux côtés du conflit, avec des versions différentes, et ils m’ont parlé avec leur cœur et m’ont dit ce qu’ils avaient ressenti. Mon scénario est en quelque sorte une voix collective.

De ce que nous savons pour le moment sur votre film, c’est qu’il ne s’agit pas d’un film politique, mais plutôt d’un film sur les victimes de la guerre. Mais parfois, vous devez prendre parti en politique.

Eh bien, il n’y a réellement aucun message politique. Mon objectif était de parler à différentes personnes et leur permettre de s’exprimer. Leur permettre de s’exprimer sur ce qu’ils ont vécu, qu’il s’agisse d’une extrême cruauté, d’une perte d’humanité ou de l’espoir, quelque soit la manière dont ils l’ont ressenti. Je pense que si l’on représente quelque chose de bien, ce n’est pas notre point de vue. C’est leur point de vue. Il s’agit d’une combinaison de points de vue différents. Tous ont exprimé ce en quoi ils croyaient, tous ont traversé des choses différentes ou ont fait des choses différentes, mais au final, ils ont tous été touchés. S’il y a vraiment un message politique, ce serait que lorsque les gens vont regarder le film, ils vont se demander "Où est ce que j’étais à ce moment là ? Pourquoi je n’étais pas au courant ? Pourquoi je n’ai rien fait ? Pourquoi mon pays n’est pas intervenu ? Pourquoi est ce que cela a pris autant de temps ? La prochaine fois qu’une telle chose se produira, qu’est ce que je pourrais faire pour aider ?". On pense toujours que de nos jours, cela n’existe plus. C’est arrivé récemment et je pense que cela doit nous faire prendre conscience que ça existe toujours. Nous ne sommes pas préparés sur cette question plusieurs décennies après la seconde guerre mondiale. Espérons que ce sera également une jolie histoire qui permettra d’en connaitre un peu plus sur l’ex-Yougoslavie.

Pourquoi continuez-vous à parler de l’ex-Yougoslavie, un pays qui n’existe plus ?

Parce que lorsque je demandais aux membres de mon équipe quelle était leur nationalité ou d’où ils venaient, même dans les vidéos du casting, ils me répondaient tous qu’ils étaient nés en Yougoslavie. Désormais, beaucoup d’entre eux sont l’un ou l’autre sur les papiers, d’autres doivent encore vérifier parce que leurs parents sont issus de milieux différents. Aujourd’hui, ils sont bosniaques, serbes ou croates, mais à leur naissance, ils étaient yougoslaves.

Comment avez-vous fait pour être aussi précise concernant l’historique et la politique du pays ?

Je n’ai jamais eu dans l’idée de faire quelque chose de politique. J’ai toujours voulu que ce soit humain avant tout. C’est pourquoi j’ai essayé de m’en tenir aux histoires qu’on m’avait racontées, de parler avec les gens de ce qu’ils ont traversé et les laisser librement s’exprimer. En ce sens, c’est vraiment la vérité. Plus on creuse, plus on trouve. Il s’agit d’une région très complexe, les gens ont différentes opinions. Ils sont passionnés et ont différentes façons de percevoir les scènes. Par contre, il y a certaines choses sur lesquelles tout le monde était d’accord. Au final, aucun acteur n’a dit au sujet du scénario : "On ne peut pas parler de ça" ou "Cela n’a aucun sens". Je les ai écouté sur ce qui allait ou sur ce qui n’allait pas afin d’y remédier pour trouver un autre aspect concernant une scène ou un élément. J’ai essayé de parler à autant de personnes possible afin d’avoir un avis général. Mais en même temps, il fallait que je garde en tête que je ne réalisais pas un documentaire et que je ne pouvais pas couvrir cette guerre. Je peux raconter une partie de cette guerre et je peux raconter une histoire qui mérite d’être connue. J’espère que le film permettra aux gens de discuter de ce conflit et se rappeler ce que les victimes ont traversé. J’ai également essayé de raconter une histoire qui pourrait plaire à des personnes qui ne sont pas intéressées par la politique. Parce qu’ils ne suivent pas nécessairement ce genre d’évènements ou parce qu’ils n’auront pas nécessairement envie de voir un film politique ou un film étranger. Nous espérons que notre film pourra les intéresser. C’est pourquoi nous parlons plutôt d’une histoire d’amour, seulement c’est une histoire d’amour un peu particulière.

Comment avez-vous réuni le budget nécessaire ?

J’ai donné le script à Graham King, avec qui j’ai déjà pu travailler sur "The Tourist", et il a décidé de me faire confiance. Brad et moi avons également financé le projet. Nous avons eu une longue discussion sur le fait de prendre des acteurs locaux qui ne sont pas connus. Nous voulions que ce soit ainsi. Il est arrivé un moment où je ne pouvais pas ne pas le faire ! Je n’ai jamais pensé devenir réalisatrice, c’est une idée que j’ai eu comme ça. Quand tout a commencé à se mettre en place, j’ai eu un moment de panique, oh mon dieu… qu’est ce que je suis en train de faire ? Je n’ai aucune expérience. Je n’ai jamais fait ça. Je ne sais pas dans quoi je me suis engagé. Ce n’est pas une histoire simple, c’est un sujet sensible. Il s’agit de l’histoire de ces personnes et mon équipe vient d’ici. Je veux être sure de bien faire. J’ai eu du mal à dormir pendant un petit moment. Mais je peux dire aujourd’hui qu’il s’agit de ma meilleure expérience cinématographique.

Puis, vous vous êtes rendue à Budapest !

Tout le monde est venu me voir en me disant à quel point c’était merveilleux de filmer à Budapest. L’équipe est arrivée, ils ont inspecté les lieux et ont dit "Raleigh Studios ! C’est merveilleux ! Une équipe qui vient d’ici ! Les lieux de tournage ! Nous n’avons pas besoin de nous déplacer, il y a plein de professionnels ici !".

Il y a eu un vrai buzz sur Internet. Alliez-vous vous rendre en Bosnie ou non pour tourner des scènes de votre film ? Quelles sont les dernières nouvelles ?

Nous essayons de faire un film qui ne se focalise pas sur une personne en particulier ou sur un groupe de personnes. Nous irons en Bosnie, oui. N’importe quelle personne racontant l’histoire de quelqu’un se doit d’être très respectueuse et très attentive. Et je sais que toute l’équipe veut faire quelque chose avec quoi les gens pourront être à l’aise. J’ai tant d’amour pour cette partie du monde. J’ai eu la chance de faire plus ample connaissance avec les membres de l’équipe qui viennent de toute la Yougoslavie. Ce sont devenu des amis très chers, ils m’ont tellement appris.

Qu’est ce que ça fait de diriger une équipe, une fois le moment de panique passé ?

En fait, dès le premier jour, j’ai aimé réaliser bien plus que je n’ai jamais aimé jouer. J’ai toujours aimé être une actrice, mais il y a quelque chose dans le fait d’être réalisateur… On connait mieux l’équipe et les acteurs. On fait réellement partie de l’équipe. Les acteurs ont tendance à se concentrer sur leurs scènes ou sur leur personnage. Ils passent également du temps ensemble, mais quand on est réalisateur… on apprend vraiment à se connaitre, l’équipe caméra, celle de l’éclairage, du son, les décorateurs. On travaille tous en étroite collaboration.

Est-ce que vous avez eu à apprendre beaucoup de choses au niveau technique ?

Techniquement, je suis extrêmement chanceuse d’avoir Dean Semler à mes côtés. Tout le monde le connait, non seulement comme un talentueux directeur de photographie, mais également comme un homme bon et très serviable. A chaque fois que je n’étais pas sûre de quelque chose, il était toujours là. Je pouvais toujours lui poser des questions et il m’expliquait avec tant de soin. Il ne m’a jamais fait me sentir comme si je ne savais pas quelque chose, il semblait même plutôt heureux de pouvoir m’aider à en apprendre davantage. J’ai également lu quelques livres. Nous avons beaucoup ri parce que j’avais une pile de livres de secours à côté de mon lit expliquant les différentes façons de tourner des scènes. J’essayais de faire comprendre à l’équipe ce que j’attendais, non seulement avec des mots, mais également avec des images. Nous avions également beaucoup de matériel pour nous aider.

Le film sera en noir et blanc ou en couleur ?

Il a été tourné en couleur, mais il est possible qu’il soit transposé en noir et blanc. Nous n’avons pas encore décidé. Je peux vous montrer… nous avons une série d’images en noir et blanc et c’est vraiment magnifique. Mais la chose la plus importante pour moi est de m’assurer que nous avons fait un film pour les personnes qui se rendent au cinéma pour voir une histoire d’amour. Afin qu’ils ne soient pas rebutés par l’idée qu’il s’agit de quelque chose de trop dur. Nous voulons qu’il soit accessible à tous pour que le maximum de personnes ait envie de le voir.

Est-ce que le film est tourné en anglais ou dans plusieurs langues de l’ex-Yougoslavie ?

En fait, nous avons tourné une version complète dans leur langue natale et une autre version complète en anglais. Nous avons tourné deux films. J’ai pu le faire parce que les acteurs étaient à l’aise avec l’anglais et étaient prêts à travailler dur et tourner dans deux langues.

Dans quelle langue sera diffusé le film ?

Nous en avons parlé à la société de production et ils offriront à chaque pays une option. Donc, s’ils souhaitent que le film soit diffusé dans leur langue natale, ce sera le cas. C’est ce que nous avons prévu.

Quand est-ce que votre film sortira ?

Je ne sais pas encore. Beaucoup de personnes me donnent encore leur opinion. Je veux faire ça bien. Il faut encore éditer les deux versions, je vais le faire à Los Angeles, parce que Brad y travaille, donc nous serons à LA. Si tout se passe bien, que les gens y répondent favorablement… nous verrons. Bien sûr, j’ai énormément de respect pour le pays, pour mon équipe, donc j’écouterais leurs avis pour la date de sortie. J’ai l’espoir que nous avons fait un bon film ensemble.

Source : Vasarnapi Hirek